Exercice : La comédie classique et le castigat ridendo mores
Texte : Premier placet présenté au roi sur la comédie du Tartuffe, 1664.
(Molière doit défendre sa pièce Tartuffe qui a été interdite car il met en scène un personnage faussement dévot, c’est-à-dire qu’il fait croire qu’il est pieux alors qu’il n’en est rien.)
PREMIER PLACET1
PRÉSENTÉ AU ROI
Sur la comédie du Tartuffe, qui n’avait pas encore été représenté en public.
Sire,
Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j’ai cru que, dans l’emploi où je me trouve, je n’avais rien de mieux à faire que d’attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle ; et comme l’hypocrisie, sans doute, en est un des plus en usage, des plus incommodes et des plus dangereux, j’avais eu, Sire, la pensée que je ne rendrais pas un petit service à tous les honnêtes gens de votre royaume, si je faisais une comédie qui décriât les hypocrites, et mit en vue, comme il faut, toutes les grimaces étudiées de ces gens de bien à outrance, toutes les friponneries couvertes de ces faux monnayeurs en dévotion, qui veulent attraper les hommes avec un zèle contrefait et une charité sophistiquée.
Je l’ai faite, Sire, cette comédie, avec tout le soin, comme je crois, et toutes les circonspections que pouvait demander la délicatesse de la matière ; et pour mieux conserver l’estime et le respect qu’on doit aux vrais dévots, j’en ai distingué le plus que j’ai pu le caractère que j’avais à toucher. Je n’ai point laissé d’équivoque, j’ai ôté ce qui pouvait confondre le bien avec le mal, et ne me suis servi dans cette peinture que des couleurs expresses et des traits essentiels qui font reconnaître d’abord un véritable et franc hypocrite.
Cependant toutes mes précautions ont été inutiles. On a profité, Sire, de la délicatesse de votre âme sur les matières de religion, et l’on a su vous prendre par l’endroit seul que vous êtes prenable, je veux dire par le respect des choses saintes. Les tartuffes, sous main, ont eu l’adresse de trouver grâce auprès de Votre Majesté ; et les originaux enfin ont fait supprimer la copie, quelque innocente qu’elle fût, et quelque ressemblante qu’on la trouvât.
1. Placet : écrit par lequel une personne demande à un puissant de lui obtenir une faveur, de l’aider à réparer une injustice.
Questions
1. Quel défaut des hommes Molière entent-il corriger dans sa pièce ? Quelle définition en donne-t-il ?
2. Comment, dans le dernier paragraphe, Molière s’y prend-il pour ne pas froisser le roi ?