Exercice : Explication de texte - La mémoire
« J'étudie une leçon, et pour l'apprendre par cœur je la dis d'abord en scandant chaque vers ; je la répète un certain nombre de fois. À chaque lecture nouvelle un progrès s'accomplit ; les mots se lient de mieux en mieux ; ils finissent par s'organiser ensemble. À ce moment précis je sais ma leçon par cœur ; on dit qu'elle est devenue souvenir, qu'elle s'est imprimée dans ma mémoire.
Je cherche maintenant comment la leçon a été apprise, et je me représente les phases par lesquelles j'ai passé tour à tour. Chacune des lectures successives me revient alors à l'esprit avec son individualité propre ; je la revois avec les circonstances qui l'accompagnaient et qui l'encadrent encore ; elle se distingue de celles qui précèdent et de celles qui suivent par la place même qu'elle a occupée dans le temps ; bref, chacune de ces lectures repasse devant moi comme un événement déterminé de mon histoire. On dira encore que ces images sont des souvenirs, qu'elles se sont imprimées dans ma mémoire. On emploie les mêmes mots dans les deux cas. S'agit-il bien de la même chose ?
Le souvenir de la leçon, en tant qu'apprise par cœur, a tous les caractères d'une habitude. Comme l'habitude, il a exigé la décomposition d'abord, puis la recomposition de l'action totale. Comme tout exercice habituel du corps, enfin, il s'est emmagasiné dans un mécanisme qu'ébranle tout entier une impulsion initiale, dans un système clos de mouvements automatiques, qui se succèdent dans le même ordre et occupent le même temps.
Au contraire, le souvenir de telle lecture particulière, la seconde ou la troisième par exemple, n'a aucun des caractères de l'habitude. L'image s'en est nécessairement imprimée du premier coup dans la mémoire, puisque les autres lectures constituent, par définition même, des souvenirs différents. C'est comme un événement de ma vie ; il a pour essence de porter une date, et de ne pouvoir par conséquent se répéter. »
Bergson, Matière et mémoire (1896), chapitre II.
Après une lecture attentive du texte proposé, mettre en évidence les deux formes de « mémoire » présentées et expliquées par le philosophe Henri Bergson. Vous organiserez votre propos en deux paragraphes distincts précédés d’une brève introduction et achevés par une conclusion.