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Sujet : La Bruyère, Les Caractères, livre XI « De l’Homme » – Parcours : peindre les Hommes, examiner la nature humaine.
Texte de Mélanie Semaine, « Restons polis ! Mais pourquoi ? » dans L’Éléphant n°43, juillet 2023.
Vous résumerez ce texte en 208 mots. Une tolérance de +/- 10 % est admise : votre travail comptera au moins 187 et au plus 229 mots.
Vous placerez un repère dans votre travail tous les 50 mots et indiquerez, à la fin de la contraction, le nombre total de mots utilisés.
Il est incontestable que ce que l’on dit pour être poli reflète rarement ce que nous pensons en notre for intérieur. La politesse nous empêche d’être tout à fait authentiques et spontanés. Est-ce une mauvaise chose ? Depuis Jean-Jacques Rousseau, on a tendance à considérer que oui. Celui que l’on considère parfois comme un auteur préromantique s’inquiète de ce que la société moderne nous a fait. L’être humain moderne est bien sûr plus civilisé, plus raffiné, mais son âme a été défigurée par la société. « Semblable à la statue de Glaucus, que le temps, la mer et les orages avaient tellement défigurée qu’elle ressemblait moins à un dieu qu’à une bête féroce, l’âme humaine altérée au sein de la société […] a, pour ainsi dire, changé d’apparence au point d’être presque méconnaissable » (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755). Mais qu’est-ce qui nous défigure ainsi ? Pourquoi aurait-on si mal évolué en société ?
D’abord parce que nous nous observons les uns les autres en permanence. Et notre regard est horizontal : nous nous comparons aux autres et adaptons nos comportements pour ne pas leur déplaire et pouvoir ainsi tirer notre épingle du jeu dans la société. Alors que, pour Rousseau, notre préoccupation devrait être verticale : nous devrions partir du cœur et l’élever jusqu’à des valeurs morales. Ensuite, cette comparaison inquiète nous pousse à nous uniformiser : nous adoptons les mêmes désirs et les mêmes codes afin de ne pas prendre le risque de détonner dans le décor social : « On n’ose plus paraître ce qu’on est » (Discours sur les sciences et les arts, 1751), tel est le triste constat que fait Rousseau. Lorsque nous adoptons la politesse comme norme de comportement, nous nous détournons donc de plus hautes valeurs morales et nous nous empêchons d’être pleinement nous-mêmes. Enfin, la politesse est mensongère puisqu’elle recouvre tous nos comportements d’un vernis uniforme alors que, en dessous, chacun de nous est singulier, unique en son genre.
Ainsi, la disqualification de la politesse oppose celle-ci, d’une part, à des vertus sincères et réellement morales et, d’autre part, à un idéal d’authenticité, laquelle seule peut permettre la communion des âmes. La politesse est donc un art des apparences, au mieux amoral (sans rapport avec la morale), au pire immoral (qui s’oppose à la morale). Et pourtant, dans la société moderne, elle est exigée et valorisée. Comment comprendre ce paradoxe ?
Pourrions-nous vraiment vivre sans nos codes de politesse, dans la transparence et l’authenticité rêvées par Rousseau ? D’abord, être authentiquement soi-même comme le veut le philosophe supposerait à la fois que nous ayons un accès totalement transparent à nous-mêmes – et donc aucune part inconsciente, obscure, inconnue ou mystérieuse en nous – et que nous offrions cet accès aux autres. En bref, cela supposerait de ne plus avoir d’intériorité. Pas sûr que cela soit possible. Et quand bien même cela le serait, la transparence dans nos relations sociales serait-elle souhaitable ? Se fendre de1 mots polis au quotidien permet tout de même de pacifier nos relations. Si autrui avait accès à nos pensées les plus immédiates et viles2 – qui ne reflètent d’ailleurs pas nécessairement l’attachement que l’on porte aux autres –, et si nous cessions de nous rendre agréables à la moindre contrariété sous prétexte de montrer aux autres notre véritable humeur de la manière la plus authentique, ce serait le conflit permanent. C’est tout l’équilibre fragile de la sociabilité qui se verrait compromis. « Les soupçons, les ombrages, les craintes, la froideur, la réserve, la haine, la trahison » qu’évoque Rousseau certes ne se cacheraient plus sous le voile de la politesse, mais ils seraient alors exposés au grand jour et jetés à la face de chacun. Peu de chance qu’une telle transparence réalise une fusion pacifique des âmes ! Car si chaque cœur se montre différent des autres lorsqu’il se met à nu, se débarrassant, comme le dit Rousseau, de l’uniforme de la politesse qui le rendait faussement semblable aux autres, le résultat est, au mieux, le constat inquiétant d’une pluralité irréductible de consciences ne pouvant s’accorder pour vivre ensemble.
Cet art des apparences qu’est la politesse paraît donc socialement nécessaire.
Chacun sait à quoi s’en tenir car il est toujours évident que la personne polie souhaite, tout comme nous, garder ses pensées intimes pour elle, et corrélativement que son sourire et son remerciement marquent sa bonne éducation et son respect mais ne nous disent finalement rien de ses pensées. Les paroles et les gestes de politesse sont donc de simples apparences, mais pas trompeuses.
Et c'est bien ce qui différencie la politesse de l’hypocrisie. L’hypocrisie manifeste toujours un écart entre l’apparence et la réalité, elle est véritablement un mensonge, tandis que la politesse témoigne simplement d’un respect accordé aux autres.
834 mots
1 Se fendre de : s’obliger à.
2 Viles : mauvaises.
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