Exercice type bac
Après avoir lu le texte, répondre aux deux questions qui suivent.
La nature terrestre, pour autant que l’on sache, pourrait bien être la seule de l’univers à procurer aux humains un habitat où ils puissent se mouvoir et respirer sans effort et sans artifice. L’artifice humain du monde sépare l’existence humaine de tout milieu purement animal, mais la vie elle-même est en dehors de ce monde artificiel, et par la vie l’homme demeure lié à tous les autres organismes vivants. Depuis quelque temps, un grand nombre de recherches scientifiques s’efforcent de rendre la vie artificielle elle aussi, et de couper le dernier lien qui maintient encore l’homme parmi les enfants de la nature. C’est le même désir d’échapper à l’emprisonnement terrestre qui se manifeste dans les essais de création en éprouvette, dans le vœu de combiner « au microscope le plasma germinal provenant de personnes aux qualités garanties, afin de produire des êtres supérieurs » et « de modifier (leurs) tailles, formes et fonctions » (1) ; et je soupçonne que l’envie d’échapper à la condition humaine expliquerait l’espoir de prolonger la durée de l’existence fort au-delà de cent ans, limite jusqu’ici admise.
Cet homme futur, que les savants produiront, nous disent-ils, en un siècle pas davantage, paraît en proie à la révolte contre l’existence humaine telle qu’elle est donnée, cadeau venu de nulle part (laïquement parlant) et qu’il veut pour ainsi dire échanger contre un ouvrage de ses propres mains. Il n’y a pas de raison de douter que nous soyons capables de faire cet échange, de même qu’il n’y a pas de raison de douter que nous soyons capables à présent de détruire toute vie organique sur terre. La seule question est de savoir si nous souhaitons employer dans ce sens nos nouvelles connaissances scientifiques et techniques, et l’on ne saurait en décider par des méthodes scientifiques. C’est une question politique primordiale que l’on ne peut guère, par conséquent, abandonner aux professionnels de la science ni à ceux de la politique.
H. Arendt, Condition de l’homme moderne (1958), traduit de l’anglais par Georges Fradier.
(1) Hannah Arendt fait ici référence à des formules qui ont été utilisées dans l’espace public et dans les médias de l’époque, lors du lancement par l’Union soviétique du premier satellite artificiel, Spoutnik 1, le 4 octobre 1957.
Question d’interprétation philosophique : Par une lecture attentive du texte et de son argumentation, expliquez pourquoi la question de l’« homme futur » n’est pas une question purement technique, mais bien une question de nature politique.
Essai littéraire : « C’est une question politique primordiale que l’on ne peut guère, par conséquent, abandonner aux professionnels de la science ni à ceux de la politique ». Que peuvent apporter à la réflexion sur cette question les arts et la littérature ?