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Texte : Simone DE BEAUVOIR, Pour une morale de l’ambiguïté (1947)
Il y a des gens à qui l’idée d’échec inspire une telle horreur qu’ils se retiennent de jamais rien vouloir : mais nul ne songerait à considérer cette morne passivité comme le triomphe de la liberté.
En vérité, pour que ma liberté ne risque pas de venir mourir contre l'obstacle qu'a suscité son engagement même, pour qu'elle puisse encore à travers l'échec poursuivre son mouvement, il faut que, se donnant un contenu singulier, elle vise à travers lui une fin qui ne soit aucune chose, mais précisément le libre mouvement de l'existence. L'opinion publique n'est pas ici mauvais juge, qui admire qu'un homme sache, en cas de ruine, d'accident, prendre le dessus, c'est-à-dire renouveler son engagement dans le monde, affirmant par là hautement l'indépendance de la liberté par rapport à la chose. Ainsi, lorsque Van Gogh malade accepte sereinement la perspective d'un avenir où il ne pourra plus peindre, il n'y a pas là résignation stérile ; la peinture était pour lui un mode de vie personnelle et de communication avec autrui qui pouvait sous une autre forme se perpétuer jusque dans un asile. Dans un tel renoncement le passé se trouvera intégré et la liberté confirmée ; il sera vécu à la fois dans le déchirement et dans la joie : dans le déchirement, puisque le projet se dépouille alors de son visage singulier, il sacrifie sa chair et son sang ; mais dans la joie, puisque, au moment où l'on lâche prise, on se retrouve les mains libres et prêtes à se tendre vers un nouvel avenir. Mais ce dépassement n'est concevable que si le contenu n'est pas visé comme barrant l'avenir, mais au contraire comme dessinant en lui des possibilités neuves.