Objet d’étude : Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle
Vous commenterez le texte suivant : Claire de DURAS, Édouard, 1825
Le narrateur, Édouard, tombe amoureux d'une jeune veuve, la duchesse de Nevers. Fils d’un avocat, il ne peut lui avouer son amour parce qu’il n’est pas noble. Il passe cependant un été avec elle au château de Faverange.
Madame de Nevers s'était assise dans l'embrasure d'une des fenêtres pour respirer l'air frais du soir ; un grand jasmin qui tapissait le mur de ce côté du château montait dans la fenêtre, et s'entrelaçait dans le balcon. Debout, à deux pas derrière elle, je voyais son profil charmant se dessiner sur un ciel d'azur, encore doré par les derniers rayons du couchant ; l'air était rempli de ces petites particules brillantes qui nagent dans l'atmosphère à la fin d'un jour chaud de l'été ; les coteaux, la rivière, la forêt, étaient enveloppés d'une vapeur violette qui n'était plus le jour, et qui n'était pas encore l'obscurité. Une vive émotion s'empara de mon cœur. De temps en temps un souffle d'air arrivait à moi ; il m'apportait le parfum du jasmin, et ce souffle embaumé semblait s'exhaler de celle qui m'était si chère ! Je le respirais avec avidité. La paix de ces campagnes, l'heure, le silence, l'expression de ce doux visage, si fort en harmonie avec ce qui l'entourait, tout m’enivrait d'amour. Mais bientôt mille réflexions douloureuses se présentèrent à moi. Je l'adore, pensai-je, et je suis pour jamais séparé d'elle ! Elle est là ; je passe ma vie près d'elle, elle lit dans mon cœur, elle devine mes sentiments, elle les voit peut-être sans colère : eh bien ! jamais, jamais, nous ne serons rien l'un à l'autre ! La barrière qui nous sépare est insurmontable, je ne puis que l'adorer ; le mépris la poursuivrait dans mes bras ! et cependant nos cœurs sont créés l'un pour l'autre. Et n'est-ce pas là peut-être ce qu'elle a voulu dire l'autre jour ! Un mouvement irrésistible me rapprocha d'elle ; j'allai m’asseoir sur cette même fenêtre où elle était assise, et j'appuyai ma tête sur le balcon. Mon cœur était trop plein pour parler. « Édouard, me dit-elle, qu'avez-vous ? – Ne le savez-vous pas ? » lui dis- je. Elle fut un moment sans répondre ; puis elle me dit : « Il est vrai, je le sais ; mais si vous ne voulez pas m'affliger, ne soyez pas ainsi malheureux. Quand vous souffrez, je souffre avec vous ; ne le savez-vous pas aussi ? – Je devrais être heureux de ce que vous me dites, répondis-je, et cependant je ne le puis. – Quoi ! dit-elle, si nous passions notre vie comme nous avons passé ces deux mois, vous seriez malheureux ? » Je n'osai lui dire que oui ; je cueillis des fleurs de ce jasmin qui l'entouraient, et qu'on ne distinguait plus qu'à peine ; je les lui donnai, je les lui repris ; puis je les couvris de mes baisers et de mes larmes.